Saison 1.19 - Discours de Jo Kergueris le 9 octobre 2014
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Discours de Jo Kergueris
À l’IUT de Vannes le 9 octobre 2014
A l’occasion de
l’inauguration de l’amphithéâtre qui porte son nom
En me faisant ce
coup-là, vous me soumettez à une rude épreuve parce que j’ai quitté cet
établissement il y a 17 ans. J’y
suis arrivé pour la première fois il y a 44
ans (en 1970), plein de la fougue de la jeunesse et me convier à venir
inaugurer un amphithéâtre à mon nom me fait tout simplement penser que c’est la
sagesse de l’âge qui remplace la fougue de la jeunesse.
Vous me conviez à
cohabiter avec Alfred Sauvy (un
autre amphi porte son nom à l’IUT), grand homme, grand
savant, esprit libre et cette caractéristique là n’a pas été neutre dans son
choix.
Que faire quand on
est comme moi, une sorte d’artisan ou quelque chose comme un épicier en état
d’errance, pour cohabiter dans l’esprit des étudiants auprès d’un homme comme
celui-là ? Et il faut bien que je tente une justification, et cette
justification, je l’ai retrouvée, car pour la première fois je l’ai rencontrée
il y a plus de 40 ans. C’est une phrase de Louis
Leprince-Ringuet, polytechnicien, fils de polytechnicien, savant, qui se
donnait la peine, dans les années 60, de s’intéresser à ce que l’on appelait à
cette époque pudiquement l’enseignement supérieur professionnel. Et qui le
définissait ainsi en parlant des IUTs : “les IUTs, une formation large, un métier léger”. Métier léger. Il
savait déjà qu’il fallait développer des aptitudes et permettre aux étudiants
d’évoluer. Et je me suis dit, au fond, le compagnonnage avec Alfred Sauvy, ce sera lui le symbole de
la formation large et si je peux témoigner de la peine que nous nous sommes
donnés, du travail que nous avons fait pour aussi donner un métier à nos
étudiants, le compagnonnage sera convenable. Je serai l’artisan du métier
léger, deux amphis, l’un dédié à l’Homo Sapiens, le second, plus modestement
dédié à un Homo Faber.
Troisième chose
qui me fait mesurer l’épreuve à laquelle vous me soumettez, c’est le fait que
le seul mérite qui a été le mien a été de relever le défi de la création de
cette institution. On a été quelques uns, peu nombreux, une joyeuse équipe,
soudée, convaincue quelle avait quelque chose à faire, une trace à laisser, et
convaincue toute ensemble qu’elle avait quelque chose à rendre à la
collectivité dont elle avait beaucoup reçue. Et l’honneur que vous me faites,
ce soir, ne peut être que partagé avec la longue cohorte des enseignants qui
ont fréquenté cet établissement, la longue cohorte de celles et ceux qui sont
venus de différents métiers nous apporter le complément et la richesse de leur
expérience et de leur connaissance, et de la longue cohorte d’étudiants parce
que, in fine, c’est à eux que cet établissement est destiné.
Alors l’histoire mérite
d’être racontée.
J’avais sinon
interrompu mon activité professionnelle au moins allégé largement mon activité
professionnelle pour faire, autour de cette époque là, le certificat de l’IAE
que nous faisions tous après les études. J’avais du temps de libre et j’étais
passé de Nantes à Vannes grâce à la complicité de mon employeur. Les cours à
l’IAE avaient lieu généralement en fin d’après-midi. Mon travail ne m’occupait
qu’à mi-temps. Et j’avais quelques loisirs que je ne destinais pas nécessairement
à une étude très sérieuse. Ce qui m’a permis de rencontrer un homme qui
s’appelait Claude Champaud et qui,
lui, était en train de réfléchir sur le développement, à l’intérieur de
l’université, de l’enseignement de la gestion.
- Vous êtes
juriste, vous faites l’IAE, cela tombe bien, vous allez me servir de secrétaire
de rédaction. On rédige un dictionnaire de droit des affaires.
- Oh oui, Merci
Monsieur ! vous me payez combien ? car, avec eux, il faut parler d’argent ! et
l’affaire s’est faite ...
et a commencé là
un long compagnonnage où nous avons, pas à pas, et jour après jour, commencer à
réfléchir sur l’enseignement supérieur professionnel, et à voir comment
travailler autour d’un premier cycle, puis de développer au delà de cela vers
des seconds cycles. Ce qui a donné l’IGR (l’Institut
de Gestion de Rennes).
Nous avons travaillé sur les programmes.
La seconde chose,
est que, recherchant une activité en relation avec l’enseignement, il me dit
:
- Nous allons
créer un département d’IUT dédié à la gestion, à la comptabilité et à la finance.
Charles André est en charge de constituer l’équipe, normalement vous avez une
place dans cette équipe.
- Je n’avais
jamais entendu parlé d’IUT !
Et commence une
aventure dans l’ancienne faculté de Lettres, place Hoche, à Rennes, dans
laquelle je rencontre un certain nombre d’enseignants. Et je rencontre aussi, à
un moment où les juristes cherchaient à se professionnaliser, où les
scientifiques cherchaient à se professionnaliser, une équipe extraordinaire
qui, sous l’autorité débonnaire d’un directeur qui s’appelait Jean Le Bot (scientifique et directeur de l’IUT de Rennes entre 68
et 79, note de l’auteur), travaillait chacun dans
leur secteur, l’un dans le génie civil, l’autre dans l’électronique, le 3eme
dans la gestion, le 4eme dans la formation des animateurs culturels, et le
directeur était, je vous le donne en mille, un spécialiste de Racine, célèbre
parce qu’il avait écrit “Fils de plouc”, il s’appelait Jean Rohou.
Et cette diversité
a donné à cet établissement une ambiance, une façon de se parler les uns les
autres qui a constitué un enrichissement mutuel pour chacun.
La vie suivant son
cours, je suis reparti d’où je venais dans une entreprise qui me proposait un
emploi en dehors de l’enseignement. Et par plaisanterie, à Claude Champaud qui me disait :
- Vous reviendrez
peut-être un jour.
- Certainement
Monsieur, le jour où vous ferez un IUT dans le Morbihan, Au revoir et
merci !,
Quelques années
plus tard, mon téléphone sonne, il me dit :
- Vous en êtes où
?
- Très bien, je
vais surement retourner à Paris, chez mon ancien employeur, parce que j’ai
quelques divergences de stratégie avec mon président d’entreprise.
- Ça tombe bien !
voulez vous ouvrir un IUT à Vannes ?
- Ce n’est pas mon
métier, Monsieur !
- Ce n’est pas le
mien non plus. Vous allez vous en débrouiller.
- Vous devriez
trouver des universitaires !
- Ils ne sont pas
très tentés à ouvrir un établissement à Vannes !
- Trouvez une
autre solution avec quelqu’un dont c’est le métier.
Et en forme de
plaisanterie, il me dit :
- Méfiez vous de Marcellin, le ministre de l’intérieur,
s’il ne trouve pas d’enseignants, il pourra peut-être continuer sa recherche
parmi les officiers des CRS !
J’ai rencontré un
maire de Vannes que je ne connaissais pas, j’ai rencontré Raymond Marcellin (maire
de Vannes de 1965 à 1977) avec, malgré tout, dans
la tête, les clichés, les schémas qui étaient largement construits par le
Canard Enchainé à cette époque.
Quel a été mon
étonnement de voir un interlocuteur dont le développement de la formation
supérieure et de la formation ouverte au plus grand nombre était la principale
préoccupation. En dehors de cela, pas de paix sociale, pas de développement
économique, en dehors de cela, pas de perspective à long terme. La conversation
aidant, je me suis rendu compte que derrière le personnage, il y avait un grand
intellectuel né en 14, il était beaucoup plus proche de la tradition de la
pensée germanique des grands penseurs et philosophes allemands et autrichiens,
et quelqu’un qui n’a eu de cesse de construire dans cette ville et dans le
territoire des établissements d’enseignement dont l’UBS a été le couronnement
et dont il faut savoir qu’elle faisait partie de ses priorités absolues.
Voilà comment j’ai
débarqué un beau matin ici me rendant à la mairie et demandant :
- C’est où l’IUT ?
on m’a répondu :
- Monsieur, il n’y
en a pas !
- J’ai un bureau ?
on m’a dit :
- oui, pour avoir
une ligne téléphonique, on va vous installer dans la salle du conseil, car il y
a un téléphone.
C’était un défi
dans la mesure où vouloir créer, dans l’enseignement supérieur, un enseignement
professionnel de niveau universitaire et court était perçu, chez les uns et les
autres, vouloir installer dans l’université française quelque chose qui
ressemblait à un centre d’apprentissage. Et l’image qui était la nôtre, à
priori, était une image à connotation légèrement négative. Fort heureusement,
et c’est là que le défi valait la peine, nous avons rencontré, de la part du
territoire, un soutien sans limite fait de contribution quand il y en avait, de
complicité quand il n’y avait pas de contribution, de stratégie élaborée en
commun, pour que l’institution et à fortiori les étudiants qui étaient dedans
puissent bénéficier des meilleures conditions de travail.
La seconde chose à
laquelle nous sommes parvenus c’est que très rapidement le milieu économique de
ce territoire nous a apporté un soutien absolument extraordinaire. Le groupe Guyomarc’h qui était en 1970 l’entreprise la plus importante
sur la place de Vannes, dont il faut rappeler que le directeur général de l’époque
devait être docteur en économétrie, le Crédit
Agricole, sont venus nous voir, nous ont fait passer des épreuves qui
relevaient d’oral de DES et nous ont dit :
- Messieurs, nous
vous apportons notre aide.
C’était à diffuser
dans l’ensemble de l’institution, et un grand nombre d’entreprises sont venues
nous apporter, qui leur moyen financier à travers la taxe d’apprentissage, qui
leurs collaborateurs pour venir compléter, suivi en cela par les grandes
administrations.
Je me souviens qu’à
cette époque, on nous avait demandé un rapport sur le nombre d’emplois qu’on
espérait avoir créé, et on avait affirmé que nous étions en droit d’espérer voir
créer 400 emplois sur le territoire. Ils ont atteint 13500 et rares sont ceux qui
aujourd’hui émargent à Pôle Emploi.
Voilà l’histoire
de cette création.
L’histoire de
cette création est un défi. Que j’ai relevé, que nous avons relevé à quelques
uns. Ca s’est développé car le territoire était favorable, le territoire nous a
soutenus, la communauté des entrepreneurs nous a soutenus, la communauté des
citoyens nous a soutenus. Parce que nous étions les uns les autres convaincus
que l’enseignement supérieur n’est démocratique que quand il fait l’objet, au
moins dans un premier temps, d’une offre de proximité. La proximité est
déterminante dans l’attractivité des études supérieures pour des jeunes gens
qui appartiennent à des familles d’origine plutôt modestes.
Voilà ce que j’avais
à vous dire.
Cette expérience,
qu’est ce qu’elle me laisse ?
Cette expérience à
l’IUT de Vannes a été la plus longue dans mon existence. Mais sachez qu’elle a
été aussi la plus importante. C’est le seul moment de ma vie où nous avons
travaillé sur des hommes et des femmes dans un respect scrupuleux de leur
liberté et avec le souci profond de les élever au double sens du terme, les
aider aussi à sortir de la gangue de leurs origines.
L’égalité cela
commence par une égalité intellectuelle.
Nous y sommes
parvenus parce que tous ensemble, les uns et les autres, dans un système qui
était un peu figé, le corps enseignant qui était fait d’enseignants venant de l’enseignement
du second degré, venant de l’enseignement supérieur, c’est fondu dans un corps
unique. Il n’y avait pas cette légère distance particulièrement sensible,
particulièrement palpable, que nous avions, quelque uns d’entre nous,
rencontrés dans d’autres institutions. Et cette fusion a été un enrichissement
extraordinaire.
D’abord en matière
de multidisciplinarité, on évoquait tout
à l’heure avec Jean les discussions
que nous avions sur Unix. Unix c’est transposable à d’autres domaines que le
domaine strictement scientifique et que celui des statistiques, et avec Jean Marc, nous étions en train de nous
poser la question de savoir comment on pouvait passer de MS-DOS à Unix et quel
type de moulinette on pouvait inventer pour être les premiers sur le coup. Nous
sommes allés ensemble avec son directeur en Californie, on a demandé les
opinions aux américains, on est revenu la dessus. Cela est né de notre
collaboration ici, de notre interdisciplinarité ici.
Ce mélange des
origines a été un enrichissement mutuel. Je reviens ici avec un plaisir fou
parce que je remarque chez nos collègues enseignants et enseignantes, ici, le
même enthousiasme, le même respect mutuel et le même désir de s’enrichir
mutuellement et c’est une force et une richesse fantastiques.
La seconde chose,
c’est l’ouverture du milieu économique,
indispensable pour que les collaborateurs extérieurs viennent apporter leur
connaissance, leur savoir-faire à un moment où l’enseignement par alternance
prend de plus en plus d’importance, est indispensable à un enseignement de ce
type et cette richesse là demeure et perdure.
Et la troisième
chose la plus importante, c’est que je constate, en regardant l’un des derniers
slides, que les étudiants continuent à
avoir le sourire.
Cette institution,
dont l’âme est, à maints égards, une âme d’école, cette institution demeure ce
pourquoi elle a été créée et ce à quoi elle était destinée, un outil de
promotion, d’enrichissement des jeunes gens et des jeunes filles et, à travers
eux, de leur famille et, comme nous participons à un service d’état, un outil
au service de la république.
L’avoir servie pendant
30 ans a été un honneur pour moi, l’avoir servie avec vous qui, à un titre ou à
un autre, y avez participé, a été un honneur et une très grande joie.
On s’est frotté,
on s’en est dit des vertes et des pas mûres ! quoi qu’il advienne, on est et on
demeure inséparable.
Merci de votre
attention
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